Appétences

Titles of the Individual Presentations in a Panel

De la famine aux podiums : perspectives sur la représentation des cuisines d’Afrique Sub-Sahariennes en transition (Déborah Lee-Ferrand, College of William and Mary ) Roman-feuilleton et dissémination : la boulimie de Les Mystères de Paris de Eugène Sue (Benoît Leclercq, High Point University) Animal on est mal : désir mimétique et cannibalisme chez Raymond Macherot (Denis Dépinoy, High Point University)

Subject Area

French and Francophone Studies

Abstract

De la famine aux podiums : perspectives sur la représentation des cuisines d’Afrique Sub-Sahariennes en transition

Ma communication explorera l’évolution et la transition des cuisines d’Afrique Sub-Saharienne d’un espace marginalisé à une présence culturelle établie en Occident hors de ce que je qualifierai de niche gastronomique ethnique. Tout d’abord, grâce à une étude comparative de critiques gastronomiques de restaurants de cuisines sub-sahariennes en France et aux États-Unis, je mettrai en évidence la progression et la transformation de la perception de ces cuisines au-delà de leur association à l’histoire politique et socio-économique des pays d’où elles sont originaires pour mettre en valeur leur unicité et faire prévaloir le talent des chefs qui les représentent. Livre de cuisine primé par de grands prix, visibilité et célébrité des chefs grâce à leur participation à des évènements médiatiques, ouvertures de food-trucks, mais également de restaurants gastronomiques, les cuisines sub-sahariennes percent et ne sont plus mises à l’écart. Ainsi, dans un argument informé par le travail d’Ako-Adjei, chef et historienne, mais également de chefs, tels que Pierre Thiam, expatrié aux Etats-Unis et Kossi Modeste, créateur du premier magazine dédié aux cuisines d’Afrique et d’Outre-mer publié en France, je démontrerai comment une nouvelle génération de chefs reprennent possession de leur héritage culturel afin de revaloriser les productions culinaires avec lesquelles ils ont grandi.

Roman-feuilleton et dissémination : la boulimie de Les Mystères de Paris de Eugène Sue

Quand Dominique Kalifa résume l’apport des Mystères de Paris à la littérature de l’époque, il qualifie le roman de « texte mythique et fondateur qui constitue en quelque sorte une matrice illimitée sans cesse réactivée »[1]. De nos jours largement ignorée, l’œuvre de Sue rivalisait pourtant avec celle de Balzac, inspirait Hugo et Dumas et fût à l’origine de nombreuses copies et adaptations, autant en France qu’à l’étranger. Publié dans Le Journal des Débats entre juin 1842 et octobre 1843, Les Mystères de Paris occupe une place cruciale dans le genre balbutiant du feuilleton au dix-neuvième siècle : son succès populaire fût aussi intense que dénigré par les puristes du style. Au final, l’engouement des lecteurs fit gonfler les deux volumes initiaux en dix, l’intrigue suivant ses personnages des rues de Paris, en Algérie et en Allemagne, tandis que dans le même temps l’auteur se réformait : autrefois dandy, il devenait militant social.

Flexibilité d’un nouveau medium, publication rythmique, abondance des types et des intrigues haletantes et inattendues, reconnaissance du lecteur : tous ces facteurs offraient en aperçu des mœurs au parfum de scandale. Comme la prostitution, que le roman aborde, l’impact du feuilleton se fit sentir sur la scène politique, qu’il imprégnait insidieusement. Plus prégnant qu’un article politicien chargé, le feuilleton évitait au passage les écueils de la censure. Utilisant les journaux comme tribune politique, Sue devance Zola. Tous deux s’attelèrent à l’étude et à la défense du peuple dans leurs œuvres, mais chez Sue, de « ce qui est sale et sent mauvais » jaillit une matière quasi-addictive qu’il façonna dans la plasticité du feuilleton[2].

Cette intervention examinera la connectivité de Les Mystères de Paris avec son format, ses sources et ses lecteurs, et considérera l’apport de représentations répétées de la criminalité à l’orchestration et à la dissémination de vues politiques progressives.

Animal on est mal : désir mimétique et cannibalisme chez Raymond Macherot

Du début des années 1950 à la fin des années 1960, c’est en Belgique que s’écriront les plus influentes pages de la bande dessinée francophone. Deux éditeurs historiques, Le Lombard, établi à Bruxelles, et Dupuis, fondé à Charleroi, se partageront l’important marché franco-belge, épaulés respectivement des hebdomadaires Tintin et Spirou. La rivalité économique et artistique qui existe entre les deux maisons se forgera sur le dos d’équipes de scénaristes et de dessinateurs fidèles, et rares auront été les auteurs à avoir osé passer d’une maison à l’autre. Parmi les transfuges, plus rares encore sont ceux qui auront su maintenir une véritable cohérence des pages de Tintin à celles de Spirou. Raymond Macherot est de ceux-là, et les planches de son Chaminou et le Khrompire, diffusé à partir de 1964 chez Dupuis, font écho au Chlorophylle et les Croquillards publié par les presses du Lombard en 1957.

Au-delà d’un anthropomorphisme cohérent, d’un humour bon-enfant et d’un graphisme à la lisibilité exemplaire, celui qui ne se qualifiait que de « dessinateur pour enfant » a tracé dans ces deux récits les contours d’un univers à la profonde cruauté. Car les animaux de Macherot, aussi civilisés qu’ils soient, restent hantés par le retour à la prédation qu’entretient une faim primale. Nous avancerons ici que les appétits carnivores qui infiltrent les villes parcourues par Chlorophylle et Chaminou portent surtout en eux la trace du désir mimétique girardien. Nous considérerons dans un premier temps comment, entre faim animale et goût du pouvoir, ces appétits s’expriment par un cannibalisme avilissant avant tout la civilisation urbaine qui le pensait aboli. Dans un second temps, nous examinerons comment cette même civilisation porte en elle les germes du désir mimétique qui alimente le cannibalisme. Enfin, nous analyserons les solutions à ce désir mimétique que semblent offrir les paysages plus bucoliques de Macherot.

[1] Dominique Kalifa, Crime et culture au XIXe siècle. Paris : Perrin, 2005.

[2] Conversation rapportée par Alexandre Dumas dans la préface de Le Juif Errant, intitulée Eugène Sue vu par Alexandre Dumas (65). Auteur dramatique, Goubaux collabora à une adaptation des Mystères de Paris pour la scène, au Théâtre de la Porte Saint-Martin en février 1844.

Brief Bio Note

Deborah Lee-Ferrand is Visiting Instructor of French and Francophone Studies. She is finishing her Ph.D. in French at the University of Minnesota. Her dissertation is titled “Acquired Tastes: Food as Relation and Memory in Franco-African Women’s Literature.”

Dr. Benoît Leclercq is Assistant Professor of French at High Point University. His work focuses on criminality and the novel in 19th-century French literature. His current project explores criminality in the works of Victor Hugo, Honoré de Balzac, Eugène Sue, and Émile Zola.

Dr. Denis Dépinoy is Assistant Professor of French at High Point University. His research examines the representations of death in contemporary French literature with a special emphasis on bande dessinée.

Location

Room 217

Presentation Year

2018

Start Date

4-5-2018 10:45 AM

Embargo

1-30-2018

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COinS
 
Apr 5th, 10:45 AM

Appétences

Room 217

De la famine aux podiums : perspectives sur la représentation des cuisines d’Afrique Sub-Sahariennes en transition

Ma communication explorera l’évolution et la transition des cuisines d’Afrique Sub-Saharienne d’un espace marginalisé à une présence culturelle établie en Occident hors de ce que je qualifierai de niche gastronomique ethnique. Tout d’abord, grâce à une étude comparative de critiques gastronomiques de restaurants de cuisines sub-sahariennes en France et aux États-Unis, je mettrai en évidence la progression et la transformation de la perception de ces cuisines au-delà de leur association à l’histoire politique et socio-économique des pays d’où elles sont originaires pour mettre en valeur leur unicité et faire prévaloir le talent des chefs qui les représentent. Livre de cuisine primé par de grands prix, visibilité et célébrité des chefs grâce à leur participation à des évènements médiatiques, ouvertures de food-trucks, mais également de restaurants gastronomiques, les cuisines sub-sahariennes percent et ne sont plus mises à l’écart. Ainsi, dans un argument informé par le travail d’Ako-Adjei, chef et historienne, mais également de chefs, tels que Pierre Thiam, expatrié aux Etats-Unis et Kossi Modeste, créateur du premier magazine dédié aux cuisines d’Afrique et d’Outre-mer publié en France, je démontrerai comment une nouvelle génération de chefs reprennent possession de leur héritage culturel afin de revaloriser les productions culinaires avec lesquelles ils ont grandi.

Roman-feuilleton et dissémination : la boulimie de Les Mystères de Paris de Eugène Sue

Quand Dominique Kalifa résume l’apport des Mystères de Paris à la littérature de l’époque, il qualifie le roman de « texte mythique et fondateur qui constitue en quelque sorte une matrice illimitée sans cesse réactivée »[1]. De nos jours largement ignorée, l’œuvre de Sue rivalisait pourtant avec celle de Balzac, inspirait Hugo et Dumas et fût à l’origine de nombreuses copies et adaptations, autant en France qu’à l’étranger. Publié dans Le Journal des Débats entre juin 1842 et octobre 1843, Les Mystères de Paris occupe une place cruciale dans le genre balbutiant du feuilleton au dix-neuvième siècle : son succès populaire fût aussi intense que dénigré par les puristes du style. Au final, l’engouement des lecteurs fit gonfler les deux volumes initiaux en dix, l’intrigue suivant ses personnages des rues de Paris, en Algérie et en Allemagne, tandis que dans le même temps l’auteur se réformait : autrefois dandy, il devenait militant social.

Flexibilité d’un nouveau medium, publication rythmique, abondance des types et des intrigues haletantes et inattendues, reconnaissance du lecteur : tous ces facteurs offraient en aperçu des mœurs au parfum de scandale. Comme la prostitution, que le roman aborde, l’impact du feuilleton se fit sentir sur la scène politique, qu’il imprégnait insidieusement. Plus prégnant qu’un article politicien chargé, le feuilleton évitait au passage les écueils de la censure. Utilisant les journaux comme tribune politique, Sue devance Zola. Tous deux s’attelèrent à l’étude et à la défense du peuple dans leurs œuvres, mais chez Sue, de « ce qui est sale et sent mauvais » jaillit une matière quasi-addictive qu’il façonna dans la plasticité du feuilleton[2].

Cette intervention examinera la connectivité de Les Mystères de Paris avec son format, ses sources et ses lecteurs, et considérera l’apport de représentations répétées de la criminalité à l’orchestration et à la dissémination de vues politiques progressives.

Animal on est mal : désir mimétique et cannibalisme chez Raymond Macherot

Du début des années 1950 à la fin des années 1960, c’est en Belgique que s’écriront les plus influentes pages de la bande dessinée francophone. Deux éditeurs historiques, Le Lombard, établi à Bruxelles, et Dupuis, fondé à Charleroi, se partageront l’important marché franco-belge, épaulés respectivement des hebdomadaires Tintin et Spirou. La rivalité économique et artistique qui existe entre les deux maisons se forgera sur le dos d’équipes de scénaristes et de dessinateurs fidèles, et rares auront été les auteurs à avoir osé passer d’une maison à l’autre. Parmi les transfuges, plus rares encore sont ceux qui auront su maintenir une véritable cohérence des pages de Tintin à celles de Spirou. Raymond Macherot est de ceux-là, et les planches de son Chaminou et le Khrompire, diffusé à partir de 1964 chez Dupuis, font écho au Chlorophylle et les Croquillards publié par les presses du Lombard en 1957.

Au-delà d’un anthropomorphisme cohérent, d’un humour bon-enfant et d’un graphisme à la lisibilité exemplaire, celui qui ne se qualifiait que de « dessinateur pour enfant » a tracé dans ces deux récits les contours d’un univers à la profonde cruauté. Car les animaux de Macherot, aussi civilisés qu’ils soient, restent hantés par le retour à la prédation qu’entretient une faim primale. Nous avancerons ici que les appétits carnivores qui infiltrent les villes parcourues par Chlorophylle et Chaminou portent surtout en eux la trace du désir mimétique girardien. Nous considérerons dans un premier temps comment, entre faim animale et goût du pouvoir, ces appétits s’expriment par un cannibalisme avilissant avant tout la civilisation urbaine qui le pensait aboli. Dans un second temps, nous examinerons comment cette même civilisation porte en elle les germes du désir mimétique qui alimente le cannibalisme. Enfin, nous analyserons les solutions à ce désir mimétique que semblent offrir les paysages plus bucoliques de Macherot.

[1] Dominique Kalifa, Crime et culture au XIXe siècle. Paris : Perrin, 2005.

[2] Conversation rapportée par Alexandre Dumas dans la préface de Le Juif Errant, intitulée Eugène Sue vu par Alexandre Dumas (65). Auteur dramatique, Goubaux collabora à une adaptation des Mystères de Paris pour la scène, au Théâtre de la Porte Saint-Martin en février 1844.